En halieutique, la déprédation se définit comme le prélèvement total ou partiel des poissons ou des appâts sur les engins de pêche par les requins, les odontocètes, les calmars ou les oiseaux. Ces interactions portent préjudice à la fois aux espèces impliquées (captures accidentelles, modification du régime alimentaire et de la stratégie de chasse), aux pêcheurs (pertes économiques liées aux dommages aux captures et à la recherche de nouvelles zones de pêche) et à la gestion des stocks des ressources exploitées (sous-estimation des déclarations des captures).
La déprédation qui impacte la pêche palangrière pélagique réunionnaise engendre des pertes financières conséquentes pour cette filière qui a vivement sollicité les scientifiques pour étudier le phénomène et trouver des solutions. En réponse à cette demande nous proposons dans ce projet, de nous intéresser à la déprédation par les odontocètes et les requins autour de trois axes de recherche :
(1) analyse de l’étendue du phénomène dans l’espace et dans le temps afin d’identifier des fenêtres spatio-temporelles de fortes intensités
(2) analyse de l’impact économique du phénomène, en prenant en compte les coûts directs et indirects de la déprédation
(3) analyse de la perception de la déprédation par les pêcheurs
(4) mise en place d’un protocole scientifique de tests de dispositifs innovants de lutte contre la déprédation.
Rapport scientifique (pdf)
Depredation is defined as the damage or removal of fish from fishing gear by predators and raises concerns about the conservation of marine protected species involved, fisheries yield and profitability, and stock assessment of target species. There is an obvious lack of knowledge about depredation impacting pelagic longline fisheries, especially in the southwest Indian Ocean. Thus, there is a real need for the development of accurate indicators to assess its impact in a given fishery. In Reunion Island, local pelagic longliners targeting swordfish (Xiphias gladius) and tuna (Thunnus spp.) are affected by short-finned pilot whale (Globicephala macrorhynchus), false killer whale (Pseudorca crassidens) and pelagic shark depredation. Catch and depreda- tion data collected during self-reporting, commercial and experimental cruises between 2007 and 2015 were used to compute depredation indicators such as the depredation occurrence (Interaction Rate), the proportion of fish depredated among the overall catch (Gross Depredation Rate), the average proportion of fish depredated per depredated set (Damage Rate) and the number of fish depredated per 1000 hooks (Depredation Per Unit Effort). Here we show that shark depredation impacted more fishing sets (IRs=31%) than toothed whale depredation (IRc=14%), but when depredation occurred, toothed whale depredation impact was higher: the number of fish damaged per 1000 hooks and the average proportion of fish damaged per set were greater for toothed whale depredated sets (DPUEc*=2.7 fish and DRc*=16.8%) than for shark depredated ones (DPUEs*=1.2 fish and DRs*=6.4%). Since 2011, when the pelagic fleet concentrated its fishing effort around the Reunion EEZ and the east coast of Madagascar, the gross depredation rate increased and ranged from 4 to 6.3%. In areas of high toothed whale depredation rates, the amount of fish lost per fishing operation was high (DPUEc*=3.2 fish/1000 hooks, DRc*=18%). In areas of low toothed whale depredation rates, the amount of fish lost per fishing operation was low (DPUEc*=1.8 fish/1000 hooks, DRc*=4.6%). Shark depredation has low impact on commercial CPUE. However, one should keep in mind that these are minimum depredation estimates, since several uncertainties could not be taken into account: total depredation leaving no trace on the hook, bait depredation by small delphinids indirectly leading to catch loss, toothed whale presence scaring fish away or additional running costs when leaving a fishing area to avoid predators. Thus, combined with marginal profits, increased running costs and low fish prices, toothed whale depredation has disastrous effects on Reunion pelagic longline fishery.
Cette thèse étudie la déprédation par les globicéphales tropicaux (Globicephala macrorhynchus), les faux-orques (Pseudorca crassidens) et certaines espèces de requins pélagiques à laquelle font face les flottilles palangrières pélagiques ciblant le thon (Tuna spp.) et l’espadon (Xiphias gladius) opérant dans le sud-ouest de l’Océan Indien. Le travail qui y est présenté étudie des données issues de campagnes de pêche commerciales et scientifiques collectées entre 2002 et 2010 dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien.
Dans un premier temps, une analyse de la déprédation exercée par les requins et les odontocètes pour identifier des pratiques de pêche et des facteurs environnementaux influençant son occurrence a été réalisée par le biais de régressions logistiques. Les évènements de déprédation par les requins sont plus fréquents, mais les odontocètes endommagent plus de poissons sur les palangres. 19,5 % des captures sont ainsi perdus aux Seychelles, ce qui en fait un « hot-spot » de la déprédation. Ces interactions mettent en évidence une synchronie spatiotemporelle entre l’activité de pêche et l’abondance des prédateurs, notamment les odontocètes.
Au vu des multiples conséquences liées à ce phénomène, différentes mesures antidéprédation ont été mises en place dans d’autres régions pour essayer d’en limiter les impacts, mais à ce jour, aucune n’a montré de réelle efficacité à long terme. Des dispositifs innovants reposant sur une modification des engins de pêche et visant à protéger les captures ont été conçus et testés. Trois campagnes ont été menées aux Seychelles et à la Réunion pour évaluer l’efficacité des « araignées », des « manches » et des « effaroucheurs » face à la déprédation par les odontocètes. Les premiers essais ont souligné les contraintes fonctionnelles liées à l’utilisation de ces dispositifs en situation de pêche. Néanmoins, des résultats encourageants nous poussent à poursuivre le développement de ce type de dispositifs, une démarche qui correspond à une approche durable d’une pêche responsable qui répond à des problématiques de conservation et d’économie du secteur de la pêche palangrière pélagique.
Nos données de déprédation ont aussi été analysées pour améliorer nos connaissances sur l’écologie des faux-orques et des globicéphales tropicaux. Par analogie avec les relations prédateurs-proies-charognards étudiées dans les écosystèmes terrestres, nous avons développé un modèle similaire pour évaluer de manière indirecte l’abondance des groupes d’odontocètes impliqués dans les évènements de déprédation. Les groupes mis en cause sont probablement des groupes de chasse stables, unités de base composant les populations de faux-orques et de globicéphales tropicaux. Nous avons observé des tailles de groupe plus importantes aux Seychelles et aux abords des limites du plateau continental, soulignant l’attrait de ces espèces pour les zones biologiquement les plus productives.
Ce travail a permis de mettre en lumière un phénomène peu étudié, et de renforcer les bases nécessaires à l’élaboration de mesures visant à limiter les impacts de la déprédation. Il s’agit d’un objectif majeur qui rentre dans le cadre de l’approche écosystémique des pêches, conciliant des objectifs économiques à court terme avec des objectifs de durabilité des espèces exploitées et de conservation des espèces non cibles.